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LORSQUE LES MORTS ANIMENT LES VIVANTS



A l’aube des vacances de la Toussaint, le sol tremble dans les cimetières de la Bolivie. Bien que peu fêtée en France, la fête des morts à un tout autre sens dans l’esprit des boliviens pour qui le terme de fête porte bien son nom. Alors que l’on pleure nos morts, ce petit pays d’Amérique du sud danse sur ses tombes. Mais quelle est cette tradition folklorique ?


Il ne faut pas se tromper, la Toussaint n’est pas la fête des Morts. C’est bien le lendemain de cet évènement chrétien que tous les morts sont célébrés. Mais dans les faits, les choses sont toutes autres en France. Comme le jour des morts n’est que peu reconnu a contrario de la Toussaint, le seul jour de congé est consacré à la fête de tous les saints, par conséquent, c’est ce jour-ci que les familles viennent fleurir les tombes de leurs défunts entraînant alors une certaine confusion des fêtes. Il est certain, pour les pays d’Amérique du Sud une telle confu- sion est inconcevable. Comment les Boliviens peuvent-ils oublier une fête qui rassemble des milliers de personnes dans le très fameux cimetière de La Paz?


Déguiser des crânes, les fleurir, les conserver ou encore les brandir dans la rue peut sembler étrange, effrayant, frôlant presque le morbide. Mais la frontière des préjugés culturels a été brisée à travers le grand écran par Miguel, un jeune mexicain de 12 ans. Ce nom ne vous dit rien? Alors, parlons plutôt du 139e long métrage d’animation des studios Disney : Coco, sortie en 2017. Avec près de 1 million d’entrées dès la première semaine de diffusion, ce jeune mexicain tournoie entre vivants et morts et familiarise ainsi les plus jeunes à l’idée de la mort et les plus vieux à une tradition ancestrale méconnue. Bien que le public apprivoise doucement cette coutume latine, peu se doutent que la tradition de la fête des Morts est plus que présente en Bolivie et prend le nom de «fête des crânes». En effet, c’est en cela que réside l’originalité et la particularité de ce peuple : la fête des morts ne se fête pas seulement sur les tombes, mais hors des tombes.

Bien que de sortie uniquement le jour de la fête des crânes, les Niatitas, «petits nez plats», sont conservées précieusement dans les foyers jusqu’au jour tant attendu. Elles sont choyées, décorées de manières pittoresques ou parfois humanisées et sont porteuses de chance et de pouvoir divin pour ses détenteurs. Certaines sont «trouvées», d’autres sor- ties de terre clandestinement, mais chacune matérialise une croyance andine précoloniale. Assises dans des petites boîtes faites maison, leurs âmes exhaussent les voeux des Boliviens toute l’année. «Ici, la mort à un tout autre sens, j’ai hâte d’être le 8 novembre au cimetière général de La Paz pour voir ça» af- firme plein de curiosité Corentin Pierre, élève en première ES à Notre Dame du Roc, parti étudier en Bolivie pour approfondir son espagnol. Le jour de l’exhumation de ces crânes mystiques, une réelle fête leur est consacrée : des chants, des danses, des feuilles de coca et des cigarettes remplissent les rues.




Cependant, cette fête folklorique, qui bien que surprenante au premier abord, pose un réel problème idéologique et législatif. En effet, l’Eglise porte un regard gêné sur la gloire de ces crânes brandis par les Boliviens. Bien que l’Église catholique ne cautionne pas une telle tradition, elle accueille pourtant les habitants et leurs compagnons en ce jour si particulier, sachant pertinemment que les traditions anciennes de l’époque indigène ne peuvent être niées. Il va de soi que l’acceptation difficile de la fête des morts par l’Église s’inscrit dans une volonté d’évangélisation. Mais le problème idéologique n’est pas l’unique source de questionnement. Posséder des crânes humains est interdit par la loi. La question juridique de la détention de corps humains, mais aussi du pillage de tombes est évidente. Il est certain, cette tradition anime les débats, mais ne cessera pas de faire tourner les têtes.


Lucie Deffenain

Article paru dans la Ruche 7 - janvier 2019

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